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Monsieur le Président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Monsieur le Bourgmestre de la Ville de Bruxelles,
Mesdames, Messieurs les Ministres
Mesdames et Messieurs les parlementaires et mandataires publics, Mesdames, Messieurs, en vos titres et qualités,
La Fédération Wallonie-Bruxelles célèbre cette année son cinquantième anniversaire. Cinquante ans d’existence. Un demi-siècle de vie institutionnelle, politique, administrative et citoyenne à travers un ensemble de compétences, dites « personnalisables ».
Ces compétences, en plus de leurs spécificités propres, ont en partage une valeur commune : la dignité de la personne humaine, l’émancipation de chacune et de chacun de celles et ceux qui vivent, qui travaillent, qui construisent leur avenir et celui de leur famille, ici, à Bruxelles et en Wallonie… Celles et ceux dont le mode d’expression est la langue française !
En disant cela, je ne peux m’empêcher d’évoquer la mémoire du grand poète wallon qu’était Julos Beaucarne. Lui, qui chantait avec beaucoup d’humour et de talent : « On parle français au Québec, à Rebecq, à Bamako, en Côte d’Ivoire, à la Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, au Gabon, en France, à Tourinnes-la-Grosse, à Jandrain-Jandrenouille, à Pondichéry… ».
Par cette énumération à la Prévert, Julos Beaucarne avait énoncé trois vérités de la langue française d’aujourd’hui : être la langue de chez nous, de nos villes et de nos terroirs ; être une langue internationale parlée sur les cinq continents ; mais être aussi désormais une langue de brassage de la diversité culturelle francophone !
Mesdames, Messieurs,
Entre 1971 et 2021, cinquante années se sont écoulées. Il serait fastidieux d’en retracer l’histoire, même de façon sommaire. Mais la défense de la langue française a constitué et continue à constituer le cœur de l’action de notre Fédération.
Cette action est fondamentale non seulement parce que c’est une action qui rassemble l’ensemble des Belges d’expression francophone, mais au-delà de cela, c’est aussi l’action qui promeut une culture d’ouverture et de dialogue avec l’autre, une culture fruit d’un riche passé, d’évolutions sociales incessantes, de combats pour plus de liberté et d’égalité au profit de tous, et d’un progrès du droit, et des droits fondamentaux en particulier.
Le français est aussi une langue internationale parlée, comprise, véhiculée par quelque 400 millions de locuteurs dans le monde. Et si le français a une histoire, liée à l’époque coloniale, et si cette langue fut, celle des classes dirigeantes, imposée, notamment dans nos régions, en Wallonie et en Flandre, aux travailleurs et aux paysans, elle se présente désormais sous un jour tout à fait nouveau.
Le vaste mouvement de décolonisation a libéré des peuples dont le français était devenu, par la force, la langue parlée. Associé à leur expression traditionnelle, le français a évolué, s’est transformé, s’est démultiplié. Ou pour mieux le dire encore : le français s’est métissé.
A tel point que la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo peut désormais écrire que « La Francophonie ne s’identifie pas au passé de la France. Les empires anciens sont derrière nous, et le passé trouble doit laisser place à une communauté de destins engagés dans l’indépendance des nations et la liberté des individus ».
C’est pourquoi le projet de la Francophonie internationale, tel que je le conçois et tel que notre gouvernement entend y collaborer activement, est d’en finir avec l’image d’une langue confinée à sa richesse littéraire.
Car de la même façon que l’histoire de la littérature française a cessé de se limiter à Paris et à quelques auteurs des provinces de France, de la même façon que leurs bibliothèques ont au fil du temps accueilli des auteurs belges, africains, québécois, maghrébins, martiniquais, suisses…, de la même façon le français doit se faire entendre dans le domaine de la recherche scientifique, dans le monde des affaires, dans l’univers des nouvelles technologies, de même que là où se débattent les urgences environnementales et climatiques.
C’est en s’ouvrant davantage à ces enjeux concrets et à des processus de développement, que la langue française imprimera sa propre croissance au cœur de la mondialisation.
Mais revenons un instant en Belgique.
La Belgique, chacun le sait, elle est plurielle. Mais aussi, elle nous rassemble, avec cette particularité qu’elle y parvient au-delà de la langue, en rassemblant flamands, germanophones et francophones, mais également tous les autres qui aujourd’hui vivent et rendent notre pays riche d’une plus grande diversité encore.
Je salue à cet égard tous les représentants de ces autres communautés linguistiques, belges ou étrangères, qui nous font aujourd’hui l’honneur, mais également l’amitié, d’être présents.
La Belgique, sur le plan institutionnel, c’est aussi cet Etat fédéral en constante évolution, en constante réflexion quant à son avenir.
A la différence du fédéralisme américain, notre fédéralisme est né à l’intérieur de frontières nationales déjà circonscrites. Dès ses premiers pas, le système fédéral belge s’est identifié à un processus évolutif. Il s’est transformé au rythme de réformes qui ont été autant d’étapes à la recherche de la meilleure configuration possible, à la recherche de celle qui répondrait, de la façon la plus adéquate possible, aux situations du moment.
Or, c’est la loi majeure de la vie politique : aucune « situation » ne demeure figée. Les facteurs politiques, économiques, sociaux et sociétaux ne cessent d’interagir entre eux et, par conséquent, de modifier l’état d’une société.
C’est pourquoi, notre système institutionnel, lui non plus, n’est pas resté et ne restera pas figé et se transformera.
Mais si cette évolution est souhaitable, c’est à la seule et unique condition de viser un objectif irréfutable : l’amélioration du système, la recherche d’un mieux institutionnel répondant aux besoins des différentes composantes de la population belge. Ce que nous devons atteindre, tous ensemble, n’est rien d’autre que la meilleure façon de servir nos concitoyens, de répondre à leurs besoins.
Oserais-je dire que ce qui doit être visé, à tous les niveaux, ce n’est pas tant la meilleure organisation possible de nos institutions, c’est d’abord et avant tout l’efficacité garantie et mesurée de nos politiques.
Trop souvent en effet, nous avons pensé nos réformes de l’Etat en partant des institutions, pour définir ensuite des politiques.
J’ai la conviction aujourd’hui qu’il faut déterminer d’abord les objectifs des politiques à mener, pour déterminer ensuite qui peut les mettre en œuvre, et comment on peut y arriver.
Nous devons donc changer de paradigme, discuter certes de tout et sans tabou, mais si nous commençons par discuter des institutions avant de nous accorder sur ce pour quoi elles doivent être utilisées, alors nous serons rapidement, j’en suis convaincu, à nouveau dans une impasse.
Car les institutions ne sont pas des variables d’ajustement. Il ne suffit pas de les changer pour que les problèmes se règlent. Ne nous enfermons pas dans un système où il serait plus facile et plus fréquent de changer les institutions plutôt que réformer en profondeur les politiques qui y sont menées, quels que soient le nombre ou les formes des institutions qui en décident.
Comprenez-moi bien, je ne souffre d’aucun conservatisme institutionnel, je n’en ai jamais souffert. Je suis - et je pense que nous sommes très nombreux à être dans ce cas– je suis prêt à discuter de tout.
Mais changer la forme pour ne rien changer au fond ne m’intéresse pas. Les francophones de ce pays souhaitent dans leur grande majorité des politiques fonctionnelles qui répondent mieux aux difficultés quotidiennes auxquelles ils sont confrontés.
Rarement ils souhaitent en premier lieu réformer les institutions. Mais toujours ils les trouveront trop nombreuses et trop coûteuses si celles-ci demeurent dans l’incapacité de faire, et surtout de bien faire, ce que l’on attend d’elles.
Alors je vous pose la question : qu’attendons-nous de nous ? Quelles sont les grandes réformes que nous devons accomplir, et avec qui voulons-nous y travailler ?
Dans un célèbre discours à la Sorbonne, certes tenu fin du 19ème siècle, le philosophe français Ernest Renan décrivait avec brio ce qui constitue ce que l’on appelait à l’époque une Nation, ce qui fonde la cohésion nécessaire d’une population à la constitution et à la légitimité de ce que l’on appellerait plutôt aujourd’hui un Etat, ou dans notre système fédéral une institution.
Il disait ceci : « La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. Les États-Unis et l'Angleterre, l'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté. (…) Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple ».
Alors, Mesdames, Messieurs,
Je vous le dis solennellement : l’heure est venue pour les francophones de Belgique d’exprimer la volonté évoquée par Renan, et de répondre à la question de savoir ce qu’ils veulent faire ensemble à l’intérieur de la maison belge.
A titre personnel, je suis convaincu que la page sera loin d’être blanche. Car ce qui nous
rassemble est plus fort que ce qui nous différencie nous francophones, wallons et bruxellois.
Mais je sais aussi que le fait régional a également consacré ces dernières années un certain nombre de différences et d’orientations spécifiques, dont il convient de mieux tenir compte sans doute dans les politiques à mener d’abord, et dans notre organisation institutionnelle ensuite.
Alors, parlons-en. Parlons-en entre bruxellois et wallons, entre partis, entre majorité et opposition, entre gouvernements, entre parlements. Mais parlons-en concrètement. Et avançons. Préparons-nous pour nous-mêmes plutôt que pour ou contre d’autres.
Définissons nos besoins et nous nous définirons nous-mêmes. Le fait institutionnel n’est pas le problème, il sera toujours la solution à partir du moment où on sait ce que l’on veut y faire.
J’ai toute confiance pour que ce travail se mène sereinement. Mais il est temps de l’entamer. Plaçons-nous tous pour ce faire en qualité d’agent de liaison de notre voisin, sans monopoliser le rôle. Jouons-le collectif et je suis convaincu que nous pourrons, tous ensemble, avancer.
Je sais que nous en sommes capables.
Je le sais d’autant plus que c’est ce que nous avons fait ces derniers mois.
Car si j’évoque ici de manière solennelle l’importance de préparer et d’améliorer l’avenir, cela ne veut pas dire que rien ne va dans le présent.
La crise sanitaire que nous traversons depuis 18 mois a certes été violente, douloureuse pour de nombreuses familles auxquelles nous pensons, difficile à appréhender pour les scientifiques, complexe à gérer pour les politiques, mais j’en retire aussi deux enseignements positifs.
Le premier, c’est que cette crise nous a rapprochés, nous les Européens, nous les Belges, mais nous aussi les francophones, et nous aussi les politiques. La crise a renforcé les solidarités, elle nous a recentrés sur ce qui nous est le plus cher, la santé, le bien-être, l’assistance à ceux qui en ont besoin. Et j’ajoute d’ailleurs que ce qui est vrai s’agissant de la crise sanitaire, l’est aussi de la crise liée aux terribles inondations de juillet dernier.
Le second, sur le plan institutionnel, c’est que jamais, à ma connaissance, les différents niveaux de pouvoir, entités fédérées et gouvernement fédéral, ne se sont réunis autant de fois et avec autant d’assiduité, que durant cette période.
Le dialogue et la coopération intra-belges ne sont donc nullement un gadget institutionnel, un vœu pieux dans un traité de droit constitutionnel : c’est une réalité qui nécessite de l’énergie et de la conviction, mais une réalité bel et bien effective.
Si notre modèle a aussi, nous le savons tous, montré ses limites, qu’il est évidemment perfectible - et qu’il est de notre devoir de l’améliorer sans tarder - nous avons pu démontrer que lorsque la volonté de se parler, de coopérer, d’avancer est là, lorsque la nécessité fait loi, lorsque l’obligation de résultat prend le pas sur l’obligation de moyen, tout ou presque devient possible.
Nos institutions malgré leur trop grande complexité ont le plus souvent été opérationnelles, nos administrations ont pu compter sur nombre de compétences et de talents, nos hôpitaux ont confirmé leur grande qualité et leur faculté de se mobiliser, et notre population sa grande empathie et son sens de la responsabilité. Ne l’oublions jamais.
Mesdames, Messieurs,
Si la crise sanitaire que nous avons subie a ébranlé bon nombre de nos certitudes, et mis à l’épreuve nos institutions, elle a également fait surgir une question qui ne s’était plus posée de longue date dans le débat public, celle de l’équilibre à trouver dans le rapport entre les mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire d’une part, et la nécessité de préserver les libertés et droits fondamentaux sans lesquels une démocratie n’est pas digne de ce nom d’autre part.
C’est lorsque l’on découvre que la vie n’est pas invincible, que la liberté n’est pas un acquis éternel, que la démocratie n’échappe pas aux menaces, que l’on comprend au même moment que l’humanité en chacun de nous est la force et ce qui garantit la démocratie, ce qui mobilise la liberté, ce qui donne confiance en la vie.
Retrouver l’intuition de la valeur de vivre, de bouger, de rencontrer, de découvrir…, a aussi pris la forme d’une évidence : nous nous sommes tous rendus compte de la difficulté voire de l’impossibilité de vivre sans contacts sociaux, sans le plaisir de la conversation, sans la joie d’apprécier la créativité sous toutes ses formes, sans les mille et un détails qui agrémentent le vivre-ensemble.
En résumé, sans l’apport des talents les plus variés à la beauté, à la joie, à l’intelligence, à l’art, à la culture…
Ces questions, elles sont au cœur de l’action de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la raison d’être de ses compétences. Elles doivent aujourd’hui tout particulièrement nous mobiliser.
Et cette mobilisation doit d’abord et avant tout concerner la jeunesse, car ce qui importe plus que tout aujourd’hui, c’est de rendre à tous les jeunes que compte notre Fédération l’envie de vivre, dans tous les sens du terme et dans tous les sens du possible, et même au-delà.
Cette envie de vivre, de grandir, de s’épanouir, d’apprendre, d’être bien dans son corps et dans sa tête, c’est la parfaite description des compétences qui sont celles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
C’est ce qui mobilise toutes les politiques que nous déployons au quotidien, de la petite enfance à l’enseignement obligatoire puis supérieur, du sport à l’aide à la jeunesse, de la culture à l’audiovisuel, de l’éducation permanente aux médias, de l’apprentissage à la citoyenneté à la francophonie internationale.
Mesdames, Messieurs,
A l’occasion de ce cinquantième anniversaire, vous l’aurez compris, le message que je tenais à vous adresser est double.
Après 18 mois d’une crise sanitaire historique, le caractère essentiel et fondamental des compétences exercées aujourd’hui par la Fédération Wallonie-Bruxelles est confirmé, et je dirais même renforcé.
C’est pourquoi j’ai tenu à insister sur la valeur intrinsèque de ces compétences au regard de nos libertés et droits fondamentaux, de la dignité humaine, de l’émancipation personnelle, et de l’attention que nous devons porter tout particulièrement au bien-être de notre jeunesse.
Quant à notre organisation institutionnelle, il revient plus que jamais aux Wallons et Bruxellois de ce pays d’exprimer leur volonté commune, et de redessiner les contours du projet francophone.
Pour ce faire, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles sera un interlocuteur respectable. Tout peut être remis en question. Ce qui importe, c’est ce que l’on fera de mieux, ensemble, demain.
Entouré de mes collègues, Bénédicte, Valérie, Caroline et Frédéric - que je remercie pour leur engagement quotidien - je vous souhaite une excellente fête au cœur de Bruxelles et de la Wallonie, et je vous remercie pour votre attention !