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Discours de Pierre-Yves Jeholet, Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour le 50ème anniversaire du Parlement.
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Prendre la parole, parler au sein de ce lieu démocratique dédié à la parole qu’est une enceinte parlementaire est un acte fondateur de tout notre système démocratique. Avoir le droit de parole, avoir le droit de parler pour exprimer la volonté de nos concitoyens est le principe absolu sans lequel aucune démocratie ne peut exister.
La démocratie, depuis l’origine, a été une construction progressive de la souveraineté des peuples. Et aujourd’hui, en ces temps d’incertitude que nous traversons, l’idéal démocratique doit continuer à être l’axe autour duquel s’articule l’ensemble de toutes les composantes de notre société. C’est l’esprit, c’est l’âme de la démocratie qui doit nous permettre de dépasser les tensions, les différences et les confrontations entre les groupes sociaux, entre les tendances partisanes, entre les conceptions religieuses, entre la multitude des points de vue personnels, et entre les intérêts les plus divers.
En l’absence d’un tel socle commun, aucun système, aussi généreux soit-il, ne pourrait se maintenir. Car il permet la confrontation des idées et des opinions, il organise la délibération et le vote, et il rend possible les choix. Et comment accepter ces choix qui ne sont le cas échéant pas les vôtres si ce n’est en constatant qu’ils sont ceux exprimés par une majorité légitime ?
Au fil du temps - et cela doit être une source de fierté - l’idéal d’une démocratie qui défendrait les droits de chacun, qui ferait entendre la voix y compris de ceux qui en ont trop longtemps été privés, qui rechercherait les meilleures réponses aux enjeux de toutes natures, cet idéal de démocratie a survécu, s’est développé, et a fait de notre pays, un des pays où les conditions de vie sont parmi le top 20 des meilleures au monde !
C’est de tout cela, c’est de ce long cheminement historique, dont nous sommes aujourd’hui les héritiers et les responsables, mais aussi les bâtisseurs continuels. Car l’œuvre n’est jamais achevée, l’idéal absolu jamais atteint, les enjeux jamais figés.
Mais en cette journée commémorative, qu’ils nous soient permis à tous d’être fiers du travail accompli, fiers des axes fondamentaux adoptés par nos politiques et qui transcendent généralement les clivages démocratiques, et fiers de ce qu’une institution comme ce Parlement représente et apporte à notre Etat, et aux citoyens francophones en particulier.
Cette fierté affirmée n’est pas une démonstration de cécité face à tout à ce qu’il nous revient encore de faire, face à la détresse qui parcourt encore trop nos rues, face aux inégalités qui demeurent ou face aux enjeux quotidiens comme celui du pouvoir d’achat trop affecté par la succession des crises que nous traversons.
Mais cette fierté a pour vocation de rappeler à chacun ce qu’il et elle doit à la démocratie.
Churchil disait que « La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». Il avait tellement raison.
A son siècle comme malheureusement encore au nôtre, les pourfendeurs de la démocratie, les partisans et les nostalgiques des dictatures de droite comme de gauche restent tellement et bien trop présents. Les combattre est un éternellement recommencement. Démontrer leur dangerosité un exercice sans fin, mais toujours nécessaire.
Hier comme aujourd’hui, les extrémismes politiques attaquent leur ennemi commun : le parlementarisme. Qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, hier comme aujourd’hui, les extrémismes détestent la démocratie parlementaire. Ils la détestent parce qu’elle expose leurs simplismes à la contradiction, ils la détestent parce qu’elle contrôle ceux qui exercent le pouvoir, ils la détestent parce qu’elle soumet au suffrage des urnes le bilan d’une action.
A l’extrême droite, l’un des intellectuels nazis ayant le plus œuvré pour assurer les fondations juridiques du IIIe Reich, Carl Schmitt, écrivait que « l’on peut de moins en moins croire qu’une législation et une politique qui soient efficaces et justes, sortiront d’un parlement, sortiront de cet espace public où la discussion est devenue une « formalité vide et caduque ». C’est pourquoi, conclut-il, le parlement n’a plus de sens et ne repose plus sur aucune base ».
Le parti nazi n’attendra plus très longtemps avant de concrétiser dans les faits cette « inutilité » du parlement. Cela aura lieu durant la nuit du 27 février 1933 avec l’incendie du Reichstag. On connait malheureusement la suite : sabordement des institutions parlementaires après l’élection de 288 députés nazis, suspension de toutes les libertés publiques et plus de 50 millions de morts.
A l’extrême gauche, mutatis mutandis évidemment, Karl Marx lui-même évoquait, vous me pardonnerez l’expression, le « crétinisme parlementaire ». Pour le fondateur du communisme, l’affaire est entendue : les parlementaires sont des crétins, et si l’un d’eux est plus remarquable que d’autres, il est le « Héros parlementaire atteint plus que quiconque du MAL INCURABLE du crétinisme parlementaire ».
Bien entendu, je sais que ce texte doit être replacé dans son contexte historique, mais le propos reste aujourd’hui ancré chez certains leaders d’extrême gauche partisans d’un régime politique extrait du cadre de la démocratie parlementaire.
Mesdames, Messieurs,
Quels qu’aient été les atrocités commises par les extrémismes politiques dans nos régions ou à ses frontières, jusqu’à aujourd’hui, chez nous, ils ont toujours échoué à faire table rase de la démocratie.
Ce sont les pays démocratiques qui, dans la souffrance et le sacrifice parfois, ont résisté. Ce sont des femmes et des hommes qui, ensemble, ont refusé de se soumettre, et ont refusé de voir disparaître les valeurs fondamentales que sont la démocratie, la liberté et la dignité humaine.
Or, je n’aurai de cesse de le répéter, l’outil institutionnel et politique de la démocratie, de la liberté et de la dignité humaine, c’est l’institution parlementaire, c’est le principe de la représentation issue du scrutin universel, c’est la garantie qu’un contrôle, au nom du bien commun, sera exercé sur le pouvoir exécutif. C’est la certitude de disposer d’un lieu où les difficultés rencontrées par la population peuvent être évoquées, débattues et solutionnées !
Ce contrôle parlementaire, ce lieu d’échange, de débats et de propositions, Votre Assemblée, notre Assemblée, le remplit depuis 50 ans.
Elle le fait avec ses forces et ses faiblesses, ses réussites souvent, ses échecs parfois. Elle le fait avec la conscience que rien n’est jamais acquis, et qu’elle doit sans doute aujourd’hui davantage qu’hier prouver qu’elle est utile, et que le principe du contradictoire dans le débat parlementaire demeure contemporain à l’heure où un échange de tweets serait presque présenté par certains comme valant thèse de doctorat.
Restaurer la confiance citoyenne est le plus grand enjeu auquel une Assemblée comme la nôtre est aujourd’hui en devoir de répondre. Cela ne se fera pas en deux coups de cuillère à pot. Mais si nous voulons voir se résorber les populismes divers, les extrémismes mensongers, les radicalismes dangereux, nous devons mettre au service des Francophones de notre pays l’ensemble des ressources et des instruments existants - l’école, les médias, les créateurs de culture… - pour recréer l’envie de débattre, l’envie de participer à la vie citoyenne, l’envie d’être soi-même porteur d’idées et de renouveau. L’envie de renouer avec autrui afin de partager le nouvel espace public dont une société moderne comme la nôtre a le plus grand besoin. Une société qui doit dépasser la méconnaissance mutuelle, qui doit dépasser les préjugés et les stéréotypes, qui doit se défaire de la critique généralisée.
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues parlementaires,
Comme le dit le philosophe français Jacques Derrida : « La démocratie est toujours en avance » !
A vous, à nous, de faire vivre cette affirmation, d’en faire la démonstration et à la faire résonner auprès de chaque habitant ou habitante de Wallonie et de Bruxelles !
« Être toujours à l’avance », pour la démocratie, c’est anticiper la façon dont telle ou telle décision, tel ou tel choix budgétaire, telle ou telle orientation ou réorientation d’une politique, par exemple en matière scolaire pour ce qui nous concerne, pourrait ou non affecter telle partie de la population.
La démocratie ne se limite pas à gérer le présent. Elle veille aussi sur l’avenir. C’est là, à mes yeux, une qualité essentielle. Même si celle-ci peut être tournée en dérision par experts du « il n’y a qu’à », et les illusionnistes de la fausse facilité.
Dans ce combat, en vue de restaurer la confiance démocratique, mon gouvernement sera à vos côtés, j’en remercie d’ailleurs chacun des membres pour le travail quotidien.
C’est là, par notre travail quotidien à tous, j’en ai la conviction, la manière la plus authentique de célébrer le demi-siècle d’existence de notre Institution et de notre Parlement.
Bon anniversaire !
Je vous remercie pour votre attention.