C’est en étant pleinement attentif aux missions qui me sont confiées en tant que Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles que je prends la liberté de formuler les quelques réflexions suivantes. Celles-ci ont trait au combat commun qui nous unit face à la crise sanitaire et aux contraintes qu’elle nous impose, à nous, êtres humains. Réflexions nécessaires dès lors que les compétences « personnalisables » dont mon gouvernement a la charge, se rattachent exclusivement à des sujets humains : la jeunesse, l’école, la création… Ce sont ces compétences institutionnelles qui forment le socle à partir duquel tirer des leçons de la situation qu’il nous faut surmonter aujourd’hui.
Avec son cortège de « variants », de souffrances, d’inquiétudes multiples et de conséquences néfastes en termes de santé – et de santé mentale – mais aussi en termes de projets personnels, professionnels et familiaux, l’épidémie de covid-19 est une agression « globale » contre la vie, biologique et sociale. L’expérience de ces dernières semaines demeurera comme un moment de douleur individuelle et collective. Toutefois, on ne peut oublier que ce que nous vivons est aussi un moment de mobilisation collective et individuelle. Je pourrais faire référence au fait que tous les pays sont concernés et que, de l’Organisation Mondiale de la Santé à l’Union européenne, en passant par des institutions internationales comme la Francophonie internationale, le combat est planétaire pour enrayer, stopper et éradiquer la pandémie. Mais ce qui, je crois, mérite aussi attention et gratitude, c’est l’engagement de chacune et de chacun. La démultiplication des petits gestes qui sauvent, la sollicitude à l’égard de celles et ceux sont touchés par la maladie, le dévouement des personnels soignants, de même que celui des enseignants et de ceux qui ont en charge l’avenir des enfants…, tout ceci constitue l’apport constant d’une solidarité qui ne se marchande pas.
Toutefois, différents secteurs d’activité, comme la culture, l’horeca et l’événementiel, sont et seront particulièrement impactés. La crise, pour beaucoup, sera de nature économique. Il est indispensable de préserver notre maillage économique, pour contribuer au maintien d’un maximum d’entreprises et être aux côtés des indépendants dont la profession est frappée durablement. J’ai cependant la conviction que quel que soit le « plan de relance » qui sera initié et mis en œuvre, celui-ci ne peut aboutir que si l’ensemble de la société se rassemble autour de cette notion de « relance » – j’avoue avoir été surpris par la déclaration d’une Secrétaire d’État craignant que les secteurs économiques concernés par le plan favoriseraient les hommes ! Je respecte la liberté de pensée, mais de telles inepties sont à l’opposé de ce qui est, et sera, vital pour l’ensemble de nos concitoyens. Sans distinction d’origine, de sexe, de classe, de culture ou autre.
Il n’est pas question de faire preuve de naïveté ni « d’optimisme béat ». On ne peut éluder les difficultés organisationnelles ni réduire l’ampleur de la catastrophe sanitaire, économique, sociale et humaine qu’il nous faut surmonter par des voies diverses. Je prendrai un exemple sur le plan politique : il est évident que la structure institutionnelle de l’État, ce « fédéralisme d’union » mis en place à l’occasion de plusieurs réformes, est soumis aujourd’hui à un examen sans précédent. Il s’agit d’un véritable « crash test » dont les leçons pour l’avenir de la Belgique francophone, néerlandophone et germanophone ne pourront pas être ignorées. La véritable question sera de savoir si la répartition fédérale des compétences aura, oui ou non, été en mesure d’affronter efficacement la première crise sanitaire d’envergure depuis celle de la poliomyélite il y a quelque septante ans. Autre exemple, autre mise à l’épreuve : comment équilibrer le rapport entre les mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire et la nécessité de préserver les libertés et droits fondamentaux sans lesquels une démocratie n’est pas digne de ce nom ? Ce débat-là, embrasé de l’intérieur par le développement exponentiel de la digitalisation est, désormais et pour longtemps, devenu inévitable. Mais la question de l’équilibre entre sécurité et liberté est aussi très directement convoquée dès lors que s’imposent couvre-feu, fermeture des frontières et autres interdits… Avec pour conséquence que jamais depuis la seconde Guerre mondiale, la chance d’être né dans un monde libre et non totalitaire n’avait été ressentie avec autant de force et de pertinence. Nous devons allier au souci d’efficacité, la vigilance, voire la volonté de la liberté.
En fait – ceci étant exprimé sans quelque volonté moralisatrice que ce soit – les évènements présents sont l’occasion de retrouver le sens de ce que le sociologue allemand Georg Simmel appelait « l’intuition de la vie ». Oserais-je préciser : une intuition de la « valeur de la vie ». C’est en même temps que l’on découvre que la vie n’est pas invincible, que la liberté n’est pas un acquis éternel, que la démocratie n’échappe pas aux menaces ! Mais c’est aussi au même moment que l’on comprend que l’humanité en chacun de nous est la force qui garantit la démocratie, qui mobilise la liberté, qui donne confiance en la vie. Retrouver l’intuition de la valeur de vivre, de bouger, de rencontrer, de découvrir… a aussi pris la forme d’une évidence : l’impossibilité de vivre sans la création artistique, sans l’apport des talents les plus divers à la beauté, à la joie, à l’intelligence… Aux mesures d’appui déjà prises, il faudra demain une union des différents niveaux de pouvoir pour démultiplier l’accès à la création et renforcer la diffusion.
Je conclurai en insistant sur un point. L’intuition retrouvée de la vie concerne toutes et tous : femmes, hommes, enfants, seniors. Mais j’ose espérer qu’elle résonne tout particulièrement à l’adresse de la jeunesse. Que serait un combat qui n’aurait pas foi en elle ? Que serait un combat qui n’aurait pas pour but ultime d’ouvrir toujours davantage pour nos jeunes, les chemins du possible ? Je n’ai cessé d’y penser. Je n’ai cessé de décider en ce sens.
Pierre-Yves Jeholet
Ministre-Président
Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles